jeudi 17 juillet 2008

Vision péruvienne sur le changement climatique Entretien avec Marco Zapata (Sebbe, Jean-Luc et Chantal)

A l'occasion d'un voyage au Pérou, dans les montagnes de la Cordillère blanche, nous avons rencontré Mario Zapata qui nous a reçu chez lui à Huaraz. Scientifique de réputation internationale, il est directeur de L'Unité de glaciologie de l'Institut National des Ressources Naturelles (INRENA) du Pérou. Voici quelques extraits (traduits de l'espagnol) de notre entretien.

Pouvez-vous vous présentez brièvement?

Je suis ingénieur archéologue, spécialisé en glaciologie. J'ai enseigné à l'université pendant un an et demi. J'ai arrêté parce que je devais aller trop souvent et trop longtemps dans le pays pour des recherches sur le terrain. Cela fait maintenant 35 ans que j’effectue ces recherches.


De quand date l'étude des glaciers au Pérou?

Bien avant la prise de conscience de ce qu'on appelle aujourd'hui le changement climatique. Le 13 décembre 1941 a lieu la rupture et débordement du lac Palcacotchata jusque dans la vallée. Cela va entraîner la destruction d'un tiers de la ville d’Huaraz et la mort de 4.000 personnes. Cela a eu comme conséquence la constitution d'un groupe d'ingénieurs qui étudient les glaciers non seulement à des fins purement scientifiques, mais aussi pour la sécurité de la population et la prévention des catastrophes.

Environ 70 pourcent des glaciers tropicaux du monde se situent dans la haute cordillère des Andes. Ces glaciers se répartissent comme suit: 71% des glaciers d'Amérique latine sont au Pérou, 22% en Bolivie, 4% en Equateur et 3% en Colombie.
Il y a trois zones géographiques au Pérou. La zone de la mer (la costa), la montagne (la sierra) et la forêt (la selva). Les courants marins très froids qui viennent de l'antarctique ont une fonction de régulation du climat. C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle Lima est presque toujours couvert. Par ailleurs, il y a une activité sismique très importante au Pérou. Cela provoque des catastrophes et la mort des gens. Cela se traduit par des avalanches de neige et le débordement des lacs. Le 10 janvier 1962, il y a eu une grande avalanche au Huascaran nord (6700m), avalanche de rochers et de neige qui a détruit la ville de Ranrahirca. 4.000 personnes sont mortes. Moins de 8 ans plus tard, une seconde secousse sismique de grade 7.8 provoque une nouvelle avalanche qui détruit le village de Yungai. 23.000 personnes meurent. Ce sont les deux événements les plus importants de l'histoire récente.


Qu'en est-il de l'évolution de l'état des glaciers au Pérou?

De 1940 à 1960 les glaciers descendaient encore à 4000 mètres et étaient même encore en contact avec les lacs. Il existe une variation cyclique du climat qui a une influence sur l'évolution des glaciers qui forment une réserve d'eau douce pour les animaux, les plantes et le développement de l'agriculture, de la pêche et de l'industrie.

La Cordillère blanche est beaucoup plus étudiée que les autres. A l'Ishinca nous avons effectué beaucoup de travaux de digues afin de protéger la population. Ce sont nos glaciers pilotes. Entre '48 et '76, il y avait 8 à 9 mètres de régression des glaciers par an. Depuis '77, on remarque une régression de 20 mètres par an. Pendant les 30 dernières années, le processus de déglaciation s'est donc accéléré. On doit reconnaître que c'est dû à l'augmentation de la température globale de la planète. Dans le monde scientifique, encore aujourd'hui, certains pensent que c'est naturel. Mais c'est à partir de l'industrialisation qu'on a expérimenté un changement et c'est la main de l'homme qui en est responsable. L'organisation mondiale de météorologie prévoit qu'entre 2000 et 2100 la température augmentera de 5,6°C pour l'Amérique latine. Avant c'était un demi-degré par siècle.
L'étude des glaciers est révélatrice du changement climatique.

Quelles sont les conséquences de cette évolution du climat et des glaciers sur les populations locales?

Dans les montagnes péruviennes, il existe une différence marquée entre deux époques de l'année. D'une part la saison des pluies qui va de septembre à décembre, et plus fortement encore, de janvier à mars. D'autre part, l'époque sèche d'avril à août qui ne connaît ni pluie ni neige. Mais aujourd'hui ce cycle a changé. L'agriculteur ne sait plus s'il y aura de la pluie en septembre. Il ne peut plus préparer son terrain, ses champs à des moments précis, comme il le faisait avant.

Par ailleurs les fermiers qui récoltent entre autres du blé, des pommes de terre et des artichauts dépendent aussi directement des eaux de fonte des glaciers de la Cordillère blanche, aussi bien pendant la saison sèche que pendant la saison humide. Et ces fermiers disent que la situation s’est modifiée.

L’impact du réchauffement climatique sur la disponibilité de l’approvisionnement en eau est un des problèmes les plus préoccupants pour le Pérou..
La majorité de l'eau du Rio Santa provient des glaciers. Cette eau va jusqu'à la côte. Les glaciers alimentent les rivières et ces rivières alimentent les grandes villes de la côte péruvienne où résident environ les 2/3 des 27 millions de péruviens. Dans la mesure où les glaciers diminuent, la côte péruvienne, où il pleut très peu, ne sera plus suffisamment approvisionnée. Car l'eau de pluie ne suffit pas.

Le Pérou, comme d’autres pays des Andes (Colombie, Equateur), tire la plus grande partie de son énergie de la production d’hydroéléctricité : plus ou moins 80 pourcents pour le Pérou, plus ou moins 70 pourcents pour l’Equateur et la Colombie, et environ 50 pourcents pour la Bolivie. Cette proportion pourrait fortement baisser dès lors que les glaciers n’alimentent plus suffisamment les bassins hydrologiques ...

Comment voyez-vous l'avenir et quelles seraient les solutions?

Il y a aujourd'hui un cycle irréversible pour les glaciers qui vont disparaître. Au cours des 30 dernières années, 20 pourcents de la surface des glaciers de montagne situés au Pérou ont été perdus. La vitesse va accélérer si la température monte plus vite. Que va-t-il se passer quand l'eau glaciaire va disparaître?
Nous devons en effet nous préparer et trouver d'autres solutions, et il faut encore pouvoir les appliquer. Il existe par exemple des plantes qui permettent de dessaler l'eau de la mer. Dans la montagne, on doit, à court terme, améliorer les systèmes d'irrigation (si les aqueducs ne sont pas en béton on perd 30% de l'eau). Les lacs artificiels sont une autre solution, mais il faudra les approvisionner par régularisation. On peut aussi reboiser des zones déboisées. Mais que se passe-t-il avec des écosystèmes qui sont dérégulés? Les animaux vont chercher toujours plus haut. Et aussi beaucoup plus de maladies vont se développer. La population locale devrait aussi se protéger davantage contre le soleil. On constate déjà plus de cancers de la peau.

Si on regarde plus loin, et de façon plus globale, la population sera encore plus importante. Les villes deviennent de plus en plus grandes et les zones rurales diminuent. Cela provoque encore plus de pollution. Aujourd'hui il y a les Etats Unis et la Chine qui polluent le plus, et bientôt l'Inde va suivre. Kyoto impose une diminution de la pollution, mais les Etats Unis ne veulent pas signer et ne prennent pas leurs responsabilités.
L'homme contribue sans aucun doute au changement climatique, même si on ne sait pas exactement quel pourcentage relève du cycle naturel et de l'intervention humaine.

Quant au Pérou, s'il n'est certainement pas parmi les pays les plus polluants, il est le troisième pays au monde le plus vulnérable, car nos ressources d'eau, de par la disparition des glaciers, sont les plus menacées. Il n'est pas juste que l'impact du changement climatique ne soit pas pareil pour tous. Le siècle passé a connu des guerres pour le pétrole, espérons que le siècle prochain ne connaisse pas de guerre pour l'eau.

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