samedi 2 août 2008

Retour sur la grève générale au Pérou (8 et 9 juillet)

Ce voyage à travers l'Amérique Latine est aussi l'occasion de rendre compte de la vie et des luttes des peuples. Les péruviens que nous avons rencontrés ces derniers jours sont fiers de leur pays lorsqu'ils parlent de leurs richesses historiques, naturelles ... et de leur cuisine, bien entendu.
Mais ils sont aussi d'avis que le pays connaît énormément de pauvreté. Certains disent qu'il y a un manque d'initiative des gens, d'autres disent que le système éducatif public fait défaut. Pour s'en sortir il faut aller dans des instituts privés, qui coûtent très chers. Ils pointent du doigt le gouvernement. Alors que cette richesse naturelle (minéraux et agriculture) pourrait permettre à tous d'avoir une vie prospère , une majorité de la population (dans les villes et à la campagne) vit dans une pauvreté extrême.

Même si le président Alan Garcia minimise l'impact de la grève générale des 8 et 9 juillet, il a reconnu qu'il y avait une insatisfaction dans un pan important de la société péruvienne.
La rencontre ce 30 juillet entre la CGTP (la Confédération générale des travailleurs du Pérou), le principal syndicat péruvien, et le président du conseil des ministres est l'occasion de revenir sur les événements et les multiples origines de cette mobilisation sociale. Cet article sera un peu long, mais néanmoins intéressant pour le lecteur qui voudrait comprendre un peu le Pérou actuel.



D'abord, quel était l'impact de cette grève? Le président avait parcouru le pays, ainsi que ces ministres, la semaine précédente pour empêcher la réussite de la grève. Il reconnaît néanmoins que la participation était de 60% en moyenne. Dans le secteur de la construction elle était de 90%, aucun chantier fonctionnait. Elle a été la plus forte dans les régions les plus pauvres au sud et à l'est. C'est là qu'a démarré le lundi 7 juillet la grève paysanne. L’incident le plus grave s’est déroulé à Puerto Maldonado (sud-est) où des milliers de paysans ont pris d’assaut le siège du gouvernement régional, pillant et mettant le feu au mobilier. Nous-mêmes avons constaté l'impact dans l'état Ancash, ou les innombrables barrages routiers ont paralysé toute la circulation pendant trois jours.


A Lima, des milliers de travailleurs ont afflué de différents côtés de la ville pour rejoindre la place “Dos de Mayo”. Il y avait des syndicats de la construction civile, des enseignants et des médecins du secteur public, des étudiants universitaires et des retraités. Mai aussi d'autres comme la fédération des mototaxistes (et oui, ça existe), le syndicat des pêcheurs, ... Ici aussi le périphérique au nord a été bloqué. Dans la région d'Ica, la route importante Panamericana Sur a été bloquée. La grève était massivement suivie dans les secteurs de la santé, de l'éducation et dans les ports.

D’autres blocages de routes et rassemblements ont eu lieu dans le sud à Puno, Arequipa, Tacna et aussi à Cuzco où un millier de paysans et paysannes ont pris la Plaza de armas. Il a fallu suspendre le service de trains au Machu Picchu, empêchant des centaines de touristes de s'y rendre. Dans cette région andine sud, le rejet du gouvernement dépasse les 80%.

Pour des augmentations salariales
APRA ou «alliance populaire révolutionnaire», tel est le nom du parti qui a porté Alan Garcia au pouvoir en 2006. La CGTP exige que le président libéral tienne ses promesses concernant le développement du pays et réoriente sa politique économique libérale, tout en procédant à des hausses de salaires pour faire face à l’augmentation du coût de la vie. Les salaires sont les pires du continent. A cela, le gouvernement répond que cette augmentation est dûe à des facteurs extérieurs. Voyons donc d'un peu plus près ce qui se passe réellement.

Les pensions le plus basses du continent
Dans la manifestation à Lima les pensionnés étaient un groupe particulier. Mais la raison de leur présence est évidente. Selon la Banque Mondiale, seul 11% de la population économiquement active a accès à une pension. Elle est la plus basse de tout le continent. 60 % des personnes de 65 ans ou plus n'ont pas de pension, soit 1.058.000 personnes qui (sur)vivent sur base de l'aide familiale.

Pourtant, selon une étude de Pedro Francke, il suffirait de 0.5% du PIB (produit intérieur brut) pour garantir une pension mensuelle de 200 soles à tout les vieux péruviens. En Bolivie, voisin du Pérou où se discute une proposition de loi pour améliorer le système de pension, l'Etat dépense actuellement 0,9% de son PIB pour les pensions au travers d'un programme universel.

"Le champ ne se rend pas", "Non à la vente de nos terres"
Les habitants de la région pauvre de forêts et de jungles ont blessé plusieurs policiers à coups de flèches. Ils protestent contre une loi permettant aux compagnies minières d’exploiter les terres appartenant aux communautés indigènes.
Les paysans des andes du sud protestent contre ce récent décret-loi du gouvernement qui permet le retour des grandes propriétés rurales et la liquidation de plus de sept mille communautés paysannes qui existent dans le pays.

Cette loi affaiblit le principe de propriété collective des terres (très répandu au Pérou). Pour faciliter l'investissement privé, une entreprise qui veut acquérir des terres communales n'aura besoin que de la moitié des voix des membres de la communauté au lieu des deux tiers dans le passé. On peut facilement acheter les voix des plus pauvres. Ainsi la corruption liquidera rapidement un système de gestion sociale très ancien au profit de groupes étrangers.

Les paysans s'insurgent aussi contre la hausse du prix des engrais, les bas prix de leurs produits et rejettent le Traité de Libre Commerce (TLC), qu'a signé le président Garcia avec les Etats-Unis, qui permet l'entrée de produits agricoles nord-américains subventionnés.

Ce mouvement de grogne survient alors que le Pérou traverse une période d’euphorie économique en bénéficiant d’une croissance économique importante, grâce aux exportations, entre autres, de minerais (cuivre, fer, or, argent…). Elle atteignait 8% en 2006 et 9,6% entre mai 2007 et avril 2008. Les exportations de produits finis ont augmenté de 28,3% entre janvier et juin 2008. Il s'agit surtout de produits textiles et d'agroalimentaire. 25% de ces articles partent aux Etats-Unis.
Cette amélioration de la croissance est surtout sensible à Lima, ainsi que dans le nord du pays et sur la côte. Nous l'avons constaté ces derniers jours à Lima, ou la population semble inonder les magasins. Il y a une sorte de fièvre de la consommation, contrairement à ce qu'on a vu en montagne. L’est et le sud sont délaissés et ne profitent que dans une moindre mesure de la croissance.

Néanmoins, un bureau privé a publié au lendemain de la fête nationale un sondage qui montre que 46% de la population de la capitale rejette la gestion de Garcia. 13.3% l'approuvent complètement et 37,4% l'approuvent moyennant des améliorations.
Pourtant, le gouvernement passe aussi énormément de messages à la télévision et dans les rues sous le thème «Peru avanza», qui montrent les investissements dans les services de santé, dans l'alphabétisation et les infrastructures routières. Elle insiste sur le fait d'avoir apporté ces deux dernières années de l'eau potable à quelques 872.000 péruviens et sur la future réalisation de quelques 1.600 chantiers supplémentaires qui apporteront de l'eau potable à quelques 2 millions citoyens en plus.

Opération « Nouveaux Horizons »
A Ayacucho, au sud-est de Lima et au nord de Cuzco, la protestation, qui a réuni des milliers de personnes, a aussi été contre la présence des troupes nord-américaines, qui depuis un peu plus d'un mois se trouvent dans cette zone du pays, zone narco et de guérilla, faisant des tâches "éducatives"... L'opération « Nouveaux Horizons » devrait continuer jusqu'en septembre et mobilisera près de 1000 soldats américains sur le sol péruvien. L'ouverture d'un aérodrome militaire devrait remplacer le camp militaire américain de Manta en Equateur qui doit fermer en 2009. Les soldats américains opèrent au départ de la base Los Cabitos, centre nerveux de l'armée péruvienne pendant la guerre civile dans les années 80-90 contre la guérilla. Des rapports récents ont révélé la présence de fosses communes à l'intérieur de ce camp.

Pour les Etats-Unis cette installation serait la base pour une plus grande présence dans la région, avec un intérêt particulier pour le conflit en Colombie ainsi que les évolutions en Bolivie. Evo Morales, président de la Bolivie a déjà vivement critiqué ce projet. En réponse, le président péruvien Garcia accuse Morales de soutenir le mouvement de grève au Pérou.
Des organismes étrangers influencent le gouvernement de Garcia pour éradiquer rapidement la culture de coca, alors que dans certaines régions elle compose 90% des récoltes des paysans. Le Pérou est le second producteur de coca dans le monde. Beaucoup critiquent donc qu'une politique unilatérale de liquidation de ces cultures sans proposer une alternative signifie une catastrophe pour les agriculteurs.

Quelques jours après la grève générale un conflit éclate dans la mine de MARSA, au nord du Pérou. Six mineurs ont été blessés par balle. Ils avaient bloqué les voies pour réclamer les salaires qu'on leur doit depuis 2007. Les profits des mines ont augmenté de plus de 500% ces dernières années. Lors de sa campagne électorale Alan Garcia avait promis d'introduire un impôt obligatoire sur les sur-profits, qui pourrait profiter à ces régions particulièrement pauvres. Mais après son élection il a seulement introduit un « apport volontaire ».



4 novembre: l'Assemblée des peuples
Mario Huaman, le dirigeant de la CGTP a annoncé une plate forme en cinq points pour des mesures urgentes à prendre par le gouvernement:



  • augmentation des soldes, salaires et pensions pour compenser la hausse du coût de la vie;

  • supprimer les décrets relatifs aux terres communales;

  • supprimer les décrets qui ont à voir avec les ports, les entreprises d'électricité et de l'eau;

  • supprimer les lois de criminalisation des manifestations;

  • la lutte frontale contre la corruption.

Les membres de la coordination Politique et sociale qui ont organisé l’arrêt de travail ont annoncé que le 4 novembre prochain il naîtra l’Assemblée des peuples ouverte aux syndicats, aux organisations civiles et aux partis politiques.
Le 23 août aura lieu une première réunion de bilan du mouvement de grève. La coordination veut surtout évaluer si le gouvernement écoute leurs revendications et décidera si nécessaire de nouvelles actions.
Le vice-président de la CGTP avait annoncé dans la presse au lendemain de la grève générale: « Nous avons le droit de parler au président de la République, qu'il écoute nos propositions, et si tel n'était pas le cas, nous tenons au droit légitime de nous organiser afin de mettre en place un autre gouvernement différent et démocratique. »

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très intéressant ce reportage sur la problématique sociale au Pérou. Il paraît qu'il y avait aussi parmi les grévistes 300.000 enseignants. En tout cas, ton reportage donne une autre vision du Pérou que celle qu'on avait depuis les montagnes andines.

Jean-Luc et Chantal