mardi 7 octobre 2008

«L'aventure est encore possible ici»

Rencontre avec Alain Mesili, guide de haute montagne en Bolivie


Alain Mesili est une de ces icônes encore vivante mais méconnue de l'alpinisme contemporain. Il part très jeune en Amérique latine et y ouvre de nombreuses voies de haute difficulté. Il devient instructeur de haute montagne pour le Club andin bolivien.

Nous le rencontrons dans un café touristique dans le centre de La Paz. Il a un paquet de dossiers devant lui. Malgré ces 60 ans et ces cheveux gris, il est en pleine forme. Il nous explique avec fierté qu'il a une fille de seulement 8 mois. «Dans mon quartier, tout le monde la regarde comme une princesse. Elle est plus jeune que mes petits-enfants». Un homme de la montagne, chaleureux et avec des points de vues sans détour. Extraits de notre rencontre.

Comment es-tu arrivé en Bolivie?
Je suis né en France, mon père était Algérien. J’ai vécu la fin de la guerre de libération. A l'âge de 11 ans j'étais placé comme beaucoup d’enfants d’immigrés algériens dans un centre de réhabilitation psychomoteur. Il se trouvait à Mauriage, près de Chamonix. C'est là que j'ai découvert la montagne et l'alpinisme. Plus tard j’ai beaucoup fréquenté la forêt de Fontainebleau et je me suis lancé dans les grandes escalades des Alpes. J'ai découvert que j'étais plutôt bon comme alpiniste. C’est à ce moment que j’ai rencontré Rebuffat et grimpé avec René Desmaison, Walter Bonatti, Jean-Marc Boivin, ...

La révolte de mai ’68 à Paris a eu une très grande influence sur moi. C’était une bouffée d’air pour notre génération, mais ensuite il y a eu un recul énorme. Tous les dirigeants de l’époque sont aujourd’hui devenus députés. J’avais vu une photo de la mort du Che en Bolivie dans Paris Match. C’était une photo très émouvante avec ces yeux toujours ouverts. On aurait dit le christ. J’ai lu l’article et j’ai décidé de partir là-bas.

J’ai vécu toute une époque de coups d’Etat sur ce continent, c’était une bonne école. J’ai milité à gauche et à l’extrême gauche. Si je n’ai pas terminé comme truand c’est grâce à la montagne. Elle a toujours eu une place importante dans ma vie. J’étais devenu guide de haute montagne, j’écrivais et je faisais la photographie.

Qu'est-ce qui rend la cordillère des Andes si attractive?

Quand j’ai commencé à explorer les Andes en Bolivie, tout était vierge. Le début de la conquête des montagnes date de 1800, mais les boliviens oublient leur histoire. C’est pourquoi j’ai le projet d’un livre sur l’histoire des Andes, avec les grands personnages.

Les premiers récits sur les tentatives datent de l’époque coloniale. En 1877 un naturaliste français a pour la première fois tenté le sommet de l’Illimani. Mais c’est surtout les allemands qui commencent à fouler les sommets dans la période entre les deux guerres.


La cordillère royale est aujourd'hui largement découverte. Mais la cordillère Apollobamba est très peu connu et très sauvage. Vu du ciel il y a d’énormes faces et montagnes à découvrir. L’aventure est encore possible ici en Bolivie. J’ai vécu moi-même pendant deux ans dans la jungle avec le peuple des chacabos.

Comment vois-tu la relation entre les alpinistes et les paysans?
Les guides locaux sont d'origine paysanne et n'ont souvent pas de notions politiques. Il y a une sorte de blocage parmi ces populations pour parler de leur culture et traditions. l'Aymara n'a pas de futur, ils ont toujours été délaissés par la société dominante. Il y a 36 langues différentes dans le pays, mais il n'y a jamais eu d'infrastructures pour forcer les relations entre les peuples. Depuis l'élection du premier président indien, Evo Morales, en 2005 ils ont cette possibilité, mais ils doivent récupérer 500 ans d'histoire occultée. Il faut une langue commune pour communiquer, mais seuls quelques uns ont étudiés à l'étranger.


L'alpinisme n'a jamais été l'affaire des boliviens. Au Pérou le bureau des guides de haute montagne fonctionne bien. Ici, l'association Andine de Bolivie est une organisation fantôme. Les montagnes sont traditionnellement le lieu des dieux et les boliviens n'osent pas rentrer dans ce monde.

Il ne faut pas amener de bonbons, ni des cahiers et crayons. J'appelle cela du tourisme con parce que cela déstructure les communautés. On maintient une relation dominant dominé. La Bolivie doit arrêter de demander de l'argent comme un mendiant. Elle doit développer ses propres infrastructures touristiques comme ils ont fait à Cuba. Ce pays fait ainsi rentrer chaque année 380 millions de $. La Bolivie accueille aujourd'hui 256.000 touristes par an, alors que la ville de Cuzco (Pérou) à elle seule reçoit 1.200.000 visiteurs annuellement.

Ce qui est important pour nous c'est que vous payez un prix correct pour les services. Les porteurs vendent leurs dos à un prix trop bas, c'est un manque d'estime de soi. Moi je paie bien les porteurs et cuisiniers. Si certains touristes n'acceptent pas mon prix, c'est leur problème.

Quels sont tes projets actuellement?
Le nouveau gouvernement m’a chargé de développer un projet de tourisme communautaire. L’idée c’est de résorber le chômage et de promouvoir les traditions et cultures des indigènes à travers le tourisme. L’argent du tourisme vient directement dans les communautés.

Je suis également éditeur de l'Andes magasine, en français et en espagnol, disponible en France et dans toute l’Amérique du sud. Et je travaille sur plusieurs livres, pour aider à redonner l'histoire aux peuples de la Bolivie. Enfin, à condition que ma fille ne me tienne pas réveillé toute la nuit.

www.andes-mesili.com

1 commentaire:

Anonyme a dit…

une belle et riche Histoire dans les Andes sudaméricaines.